Redécoupage des circonscriptions fédérales de 2022

Commentaire 28 (Octobre 2022) commentaires et rétroaction

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Maxime Blanchette-Joncas, député fédéral de Rimouski-Neigette – Témiscouata – Les Basques

Pour une digne représentation de l'Est-du-Québec et des régions

Présentation

Maxime Blanchette-Joncas a été élu une première fois comme député fédéral de la circonscription de Rimouski-Neigette–Témiscouata–Les Basques en octobre 2019.

Sous la bannière du Bloc Québécois, il se fait connaître pour les nombreuses batailles à saveur régionaliste qu'il mène : maintien des services fédéraux en région, réforme de l'assurance-emploi, défense de la gestion de l'offre, amélioration de la couverture cellulaire et internet haute vitesse sont quelques dossiers qu'il a mis de l'avant lors de son premier mandat.

Réélu en septembre 2021 à la suite d'une élection générale, il continue de défendre farouchement les intérêts du Bas-Saint-Laurent et, plus largement, des régions et de la ruralité, qui essuient des vagues successives de centralisation et de rationalisation de la part du gouvernement fédéral.

Sommaire

Dans une proposition de redécoupage déposée le 29 juillet 2022, la Commission de délimitation des circonscriptions fédérales pour le Québec (la Commission) propose de supprimer la circonscription d'Avignon–La Mitis–Matane–Matapédia, faisant passer le nombre de députés couvrant le territoire de Montmagny aux Îles-de-la-Madeleine de quatre à trois.

La Commission justifie cette proposition par les écarts négatifs importants au quotient électoral qu'on constate dans trois de ces circonscriptions.

Maxime Blanchette-Joncas, en tant que député fédéral de la circonscription de Rimouski-Neigette–Témiscouata–Les Basques et représentant de ses 85 556 citoyens, s'oppose à cette proposition qui fait fi de la réalité régionale du Bas-Saint-Laurent et de l'Est-du-Québec.

En raison d'une combinaison d'autres considérations qui ne sont pas mentionnées dans le rapport de la Commission, telles que les communautés d'intérêts, la superficie du territoire, l'importance de la représentation pour les citoyens ruraux, le rôle de première ligne que remplissent les bureaux de député en région éloignée, le député Blanchette-Joncas s'oppose à la proposition de redécoupage de la Commission et demande que le statu quo soit maintenu quant au nombre de circonscriptions entre Montmagny et les Iles-de-la-Madeleine.

Contexte général

Le 29 juillet 2022, la Commission présente sa proposition de révision de la carte électorale pour le Québec.

Cette proposition constitue la première étape d'un processus décennal visant à revoir le découpage électoral afin de garantir qu'il traduise l'évolution de la population sur le territoire québécois et canadien. Pour chaque province, une commission indépendante est chargée d'effectuer cet exercice en suivant les dispositions de la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales (la Loi) et en se basant sur le dernier recensement rendu public.

La seconde étape, dans laquelle s'insère le présent mémoire, vise à permettre à la population de s'exprimer sur la révision électorale proposée. Du 6 septembre au 13 octobre 2022, la Commission a tenu ainsi un total de vingt-deux audiences publiques physiques et virtuelles, dans plusieurs villes du Québec, en plus de recueillir des commentaires par voie postale et électronique.

Après ces consultations publiques, un nouveau rapport intégrant les commentaires entendus sera rédigé et présenté aux élus de la Chambre des communes. Ceux-ci auront l'occasion de formuler des commentaires et oppositions à la Commission, qui pourra une dernière fois modifier son rapport avant de soumettre un redécoupage final qui prendra effet à partir d'avril 2024, au plus tôt.

Les principes

Le travail de la Commission est encadré par la Loi. Les principes devant la guider sont énoncés à l'article 15 de cette dernière :

15 (1) Pour leur rapport, les commissions suivent les principes suivants :

  1. le partage de la province en circonscriptions électorales se fait de telle manière que le chiffre de la population de chacune des circonscriptions corresponde dans la mesure du possible au quotient résultant de la division du chiffre de la population de la province que donne le recensement par le nombre de sièges de député à pourvoir pour cette dernière d'après le calcul visé au paragraphe 14(1);
  2. sont à prendre en considération les éléments suivants dans la détermination de limites satisfaisantes pour les circonscriptions électorales :
    1. la communauté d'intérêts ou la spécificité d'une circonscription électorale d'une province ou son évolution historique,
    2. le souci de faire en sorte que la superficie des circonscriptions dans les régions peu peuplées, rurales ou septentrionales de la province ne soit pas trop vaste.

2) Les commissions peuvent déroger au principe énoncé par l'alinéa (1)a) chaque fois que cela leur paraît souhaitable pour l'application des sous-alinéas (1)b)(i) et (ii). Le cas échéant, elles doivent toutefois veiller à ce que, sauf dans les circonstances qu'elles considèrent comme extraordinaires, l'écart entre la population de la circonscription électorale et le quotient mentionné à l'alinéa (1)a) n'excède pas vingt-cinq pour cent.

En se basant sur cette disposition, on peut ainsi affirmer que l'essence du travail de la Commission est d'effectuer un arbitrage entre l'impératif de parité électorale (principe « une personne, un vote ») et les « autres considérations », qui doivent être incluses dans la réflexion lorsque cela paraît souhaitable. L'inclusion des autres considérations fait du redécoupage de la carte électorale plus qu'un simple exercice arithmétique. En raison de la diversité des considérations pertinentes et de la subjectivité qu'implique leur pondération relative, le processus requiert des commissaires qu'ils exercent un jugement éclairé tout au long du processus, au vu des conséquences importantes que peut avoir le redécoupage électoral sur une population et un territoire.

Pour l'exercice qui nous concerne, la population du Québec a été établie, lors du dernier recensement, à 8 501 833, ce qui fixe le quotient électoral à 108 998 personnes par circonscription.

En vertu de la Loi, la Commission a donc le mandat de tracer des circonscriptions comportant entre 81 749 personnes (- 25 %) et 136 247 (+ 25 %), sauf si des « circonstances extraordinaires » permettent de justifier un écart plus important.

En outre, la Commission indique dans son rapport que « comme les deux commissions qui l'ont précédée, [elle] considère souhaitable que, sauf exceptions justifiées, la population de chacune des circonscriptions électorales du Québec se situe à l'intérieur d'un écart maximal de 10 %, en plus ou en moins, par rapport au quotient électoral ».

Le redécoupage dans l'Est-du-Québec

Les modifications proposées

Le redécoupage du Québec tel qu'il figure dans la proposition de la Commission contient 78 circonscriptions, soit le même nombre que le précédent. Cependant, afin de pouvoir créer une circonscription au nord de Montréal, dans les Laurentides, la Commission propose de supprimer un des quatre sièges entre Montmagny et les Îles-de-la-Madelaine, soit celui d'Avignon–La Mitis– Matane–Matapédia.

Selon la Commission, cela « constitue la meilleure option parce que, d'une part, c'est la moins peuplée des quatre circonscriptions, et la moins peuplée de toutes les circonscriptions du Québec, et, d'autre part, sa situation géographique permet aux deux circonscriptions voisines d'en absorber les composantes » 1 .

Le territoire de la défunte circonscription serait redistribué ainsi entre ses voisines : « les municipalités situées, en tout ou en partie, à l'est d'une ligne formée par les routes 132 et 195, à l'exclusion de Matane » 2 , seraient transférées à Gaspésie– Les Îles-de-la-Madeleine, alors que les autres municipalités rejoindraient Rimouski-Neigette–Témiscouata–Les Basques. Pour se défaire du surplus occasionné, cette dernière se départirait de la municipalité régionale de comté (MRC) de Témiscouata, qui serait rattachée à Montmagny–L'Islet– Kamouraska–Rivière-du-Loup.

Le Tableau 1, ci-dessous, illustre quant à lui les populations des quatre circonscriptions concernées, de même que leur évolution depuis 2011 et leur écart au quotient électoral.

Tableau 1 - Population et écart au quotient électoral
  Population 2011 Écart au quotient 2012 Population 2021 Écart au quotient 2022
Montmagny—L'Islet— Kamouraska—Rivière-du-Loup 97 261 5,96 % 96 724 -11,3 %
Rimouski-Neigette— Témiscouata—Les Basques 84 809 -16,3 % 85 556 -21,5 %
Avignon—LaMitis— Matane—Matapédia 74 547 -26,4 % 70 253 -35,5 %
Gaspésie—LesÎles-de-la-Madeleine 78 833 -22,2 % 75 927 -30,3 %
Les arguments démographiques

La Commission, dans son rapport, présente deux arguments démographiques pour justifier la suppression de la circonscription d'Avignon–La Mitis–Matane– Matapédia. Premièrement, elle constate qu'aujourd'hui, des écarts importants au quotient électoral existent dans la région: La population moyenne de l'ensemble s'élève à 82 115, la plus basse de toutes les régions du Québec, et frôle de très près la limite de – 25 % imposée par la Loi. Chacune des circonscriptions est fortement déficitaire : l'écart est de -21,5 % pour Rimouski-Neigette–Témiscouata–Les Basques, et atteint respectivement -30,3 % et -35,5 % pour Gaspésie–Les Îles-de-la-Madeleine et Avignon–La Mitis–Matane–Matapédia. En 2012, la commission de l'époque avait accepté que cette dernière, qui montrait alors un déficit de 26 %, bénéficie de la dérogation permise en cas de circonstances extraordinaires. Aujourd'hui, deux circonscriptions excèdent la limite de -25 % et trois des quatre circonscriptions les moins peuplées du Québec se situent dans cette région. 3

Deuxièmement, elle affirme que ce constant s'inscrit dans une tendance durable et rigide de déclin démographique dans l'Est-du-Québec :

Cette situation s'inscrit dans un déclin amorcé il y a plusieurs décennies. En 35 ans, le Bas-Saint-Laurent a perdu 7,5 % de sa population, et la Gaspésie, 19,8 %. Depuis 2011, trois des quatre circonscriptions ont vu leur population diminuer en nombre absolu, et la population de la quatrième n'a augmenté que de 747 personnes. Toutes ont connu une diminution relative, alors que la population du Québec augmentait de 7,6 % durant la même période. 4

Ainsi, en ancrant sa proposition dans ces arguments démographiques et sans détailler sa réflexion au-delà de ceux-ci, la Commission fait le choix de priver l'Est-du-Québec d'une de ses quatre circonscriptions. Dans la section suivante, nous aborderons les considérations qui justifient que le statu quo à quatre circonscriptions soit maintenu dans l'Est-du-Québec.

La représentation effective et les « autres considérations »

Ce qu'en disent la Loi et la Cour suprême

Comme nous l'avons mentionné plus haut, la Loi reconnaît la nécessité de découper des circonscriptions dont la population est le plus près possible du quotient électoral. Cependant, elle poursuit en ajoutant que certains éléments peuvent justifier qu'on déroge du principe de parité absolue. Elle nomme explicitement les éléments suivants : celui de la communauté d'intérêts, de la spécificité d'une circonscription électorale, de son évolution historique, de même que celui de la superficie de la circonscription, qui ne doit pas être trop vaste.

Cette approche privilégiant la poursuite de la parité relative, plutôt qu'absolue, est cohérente avec l'interprétation que fait la Cour suprême du Canada du droit de vote garanti à l'article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans l'arrêt Renvoi : Circ. Électorales provinciales (Sask.) [1991], elle ajoute en outre que la parité est une condition, une composante d'une finalité plus grande qui est la représentation effective. Dans cet arrêt, elle affirme que la parité relative du pouvoir des électeurs est une condition primordiale de la représentation effective. Les dérogations à la parité électorale absolue peuvent toutefois se justifier pour des raisons d'impossibilité matérielle ou d'amélioration de la représentation réelle. Des facteurs comme la géographie, l'histoire et les intérêts de la collectivité et la représentation des groupes minoritaires peuvent devoir être pris en considération afin de garantir que nos assemblées législatives représentent réellement la diversité de notre mosaïque sociale. 5

La Cour établit donc que des dérogations à la parité peuvent être justifiées, et présente quelques facteurs qui peuvent intervenir dans l'analyse. Plus loin dans le jugement, elle mentionne une autre série de facteurs qui peuvent être pertinents :

Un des plus importants tient à ce qu'il est plus difficile de représenter des populations rurales que des populations urbaines. Les documents qui nous ont été présentés indiquent que non seulement les circonscriptions rurales sont plus difficiles à desservir en raison de divers problèmes de transport et de communication, mais aussi que les électeurs ruraux font plus appel à leurs représentants élus soit à cause de l'absence des ressources plus diversifiées dont disposent les centres urbains soit pour d'autres raisons. Ainsi l'objectif de la représentation effective peut justifier l'existence de populations électorales légèrement inférieures dans les régions rurales. Un autre facteur auquel il a été donné une place prééminente devant notre Cour, concernait les frontières géographiques; les rivières et les territoires des municipalités constituent des lignes naturelles de démarcation entre les communautés et par conséquent des limites naturelles de circonscriptions électorales. Il y a aussi le facteur des prévisions démographiques. Puisque les limites sont fixées pour un certain nombre d'années – celles de 1989 pourraient encore être en place en 1996, par exemple, les prévisions démographiques peuvent pour l'ensemble de cette période justifier une dérogation à la stricte égalité à l'époque de la délimitation des circonscriptions. 6

En plus de ces quelques exemples, la Cour ajoute ultimement que « ce ne sont là que des exemples de considérations qui peuvent justifier une dérogation à l'égalité absolue des votes dans la poursuite d'une représentation plus effective; la liste n'est pas exhaustive » 7 .

Ainsi, par la lecture combinée de la Loi et de l'arrêt Renvoi : Circ. Électorales provinciales (Sask.) [1991], on établit, d'une part, que l'atteinte d'une représentation effective peut nécessiter de déroger du principe de parité électorale, et qu'une multitude de facteurs peuvent peser dans la balance pour justifier une dérogation au quotient électoral. Maintenant que cela est fait, nous présenterons les facteurs, soit les considérations qui justifient, lorsque considérés collectivement, que l'on maintienne le statu quo aux quatre circonscriptions de l'Est-du-Québec.

La représentation des régions ressources

Si on commence par considérer le redécoupage électoral à une échelle plus large, on remarque que la suppression de la circonscription d'Avignon–La Mitis– Matane–Matapédia combinée à la création d'une circonscription au nord de Montréal, dans les Laurentides, représente la perte d'un représentant pour les régions ressources.

Bien que ces dernières ne regroupent qu'aujourd'hui 6,7 % de la population québécoise, elles représentent 80,2 % du territoire du Québec et génèrent directement 7,6 % de son produit intérieur brut. 8 Elles sont le théâtre d'une part importante de l'activité économique primaire dont les retombées alimentent les secteurs secondaires et tertiaires.

De plus, les régions ressources constituent des lieux de tourisme, de villégiature et de plein air exceptionnels grâce à leurs grands espaces et à la qualité de leurs milieux naturels. En raison de ces caractéristiques, elles attirent ainsi, été comme hiver, un flux impressionnant de touristes domestiques et internationaux, qui font vivre nombre de restaurateurs, d'aubergistes et de guides d'aventures diverses.

Or, un très grand nombre de lois et de décisions qui déterminent la conduite des activités économiques et sociales des communautés de la ruralité prennent forme dans l'enceinte de la Chambre des communes. Qu'on pense à l'exploitation des ressources naturelles, à la gestion des ressources halieutiques, au régime d'assurance-emploi dont dépendent les travailleurs des industries saisonnières, au contrôle des passages aux frontières, aux politiques d'importations et d'exportations ou aux règles qui orientent nos pratiques agricoles, on constate immanquablement l'omniprésence de l'empreinte fédérale dans le quotidien rural.

À mesure que s'accentue l'exode rural et que se concentre la population dans les grands centres urbains, la proportion des élus qui représentent les régions ressources diminue progressivement. Par conséquent, les enjeux propres aux communautés rurales sont de moins en moins mis de l'avant, et les décideurs chargés d'adopter des législations qui les toucheront sont de plus en plus issus des grands centres, là où ces enjeux n'ont pas d'implications concrètes. En plus, ces élus issus des centres urbains n'ont ultimement de comptes à rendre qu'à leurs électeurs citadins.

Comment, alors, s'assurer que les lois et politiques adoptées par une majorité d'élus qui mettent l'intérêt des villes en premier n'auront pas des effets délétères sur les régions ressources ? Comment s'assurer que toute la complexité de ces communautés de vie riches et uniques puisse être considérée et préservée par des élus qui n'en connaissent pas les subtilités ?

En supprimant une circonscription dans l'Est-du-Québec, on éloignerait physiquement et symboliquement le pouvoir d'une pêcheuse de Rivière-au-Renard, en Gaspésie, ou d'un travailleur forestier de Dégelis, dans le Témiscouata. Comment pourront-ils faire entendre leurs préoccupations en enjeux alors que leur représentant sera situé à plusieurs centaines de kilomètres de leur milieu de vie ? Comment maintenir l'intérêt et la confiance de ces populations envers notre système politique dans ces conditions ?

La représentation effective ne se mesure pas uniquement en quotas de population. Il faut considérer la capacité réelle des citoyens à se faire entendre, ainsi que celle des représentants d'une minorité à jouer le rôle qui leur revient dans le processus législatif. À ces deux égards, la démocratie canadienne serait mieux servie par le statu quo que par la modification de redécoupage électoral actuellement proposée par la Commission.

Les communautés d'intérêts

Le principe de la communauté d'intérêts, qui est fondamental dans la réflexion liée au redécoupage électoral, est consacré dans la Loi, à son article 15 (1)b)i). Cependant, le législateur évite d'en donner une définition précise, pour qu'il conserve une flexibilité lui permettant d'être adapté à différents contextes. Selon John C. Courtney, son fondement « repose sur la reconnaissance et l'acceptation du principe selon lequel un groupe de personnes vivant sur un territoire partage des attributs ». 9

Ces attributs peuvent être géographiques (frontières naturelles ou administratives), économiques, sociaux (ethnie, religion, langue, etc.) ou encore sociologiques. Toujours selon Courtney,

[s]i l'on considère que les intérêts en cause sont suffisamment importants ou, autrement dit, si l'on considère que l'on nuirait aux intérêts de la communauté si on la répartissait entre deux circonscriptions ou plus, il serait justifié, selon ce principe, de la garder intacte et de l'intégrer à une circonscription spécifique. Dans ce cas, on pourrait dire que la communauté d'intérêts a éclipsé le principe de l'équilibre démographique entre ces circonscriptions. 10

La proposition actuelle de la Commission ignore cette recommandation. En effet, dans une volonté mathématique de redistribuer les fragments d'Avignon—La Mitis—Matane—Matapédia de manière équilibrée entre les circonscriptions voisines, elle fracture trois municipalités régionales de comté (MRC), soit la Matapédia, la Matanie et Avignon.

Une telle scission serait définitivement préjudiciable pour ces MRC, tant au niveau de la représentation que dans un souci de cohésion régionale. Il faut savoir que dans l'Est-du-Québec, les projets et le développement s'effectuent souvent à l'échelle des municipalités et des MRC. Briser cette cohésion naturelle va à contre-courant des façons de faire locales. De plus, dans le scénario proposé, on pourrait entrevoir un cas de figure où un projet doive obtenir le concours de deux députés fédéraux aux allégeances et aux intérêts politiques divergents, ce qui risque définitivement de nuire à sa réalisation.

En outre, les citoyens ont développé un sentiment d'appartenance envers ces entités administratives locales, qui sont restées inchangées depuis leur création au début des années 1980, comparativement aux circonscriptions électorales dont la configuration est revue aux dix ans. Diviser les habitants de la Matanie et de la Matapédia entre deux circonscriptions au sein desquelles leur poids respectif sera affaibli, en plus de léser leur capacité à faire valoir leurs intérêts et enjeux propres, aura un effet décourageant sur la participation de ces électeurs à la vie politique. Il a en effet été démontré que la participation électorale est plus faible lorsque des électeurs sont placés dans une circonscription à laquelle ils s'identifient peu. 11

Considérant que plusieurs intervenants ont abordé cet aspect de manière fort pertinente et détaillée au cours des audiences publiques, nous ne le détaillerons pas outre mesure dans le présent mémoire. Nous demeurons cependant convaincus que la Commission saura prendre en considération cette réalité particulière et centrale à la vie communautaire et régionale du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie, et qui avait été négligée dans la proposition initiale de la Commission.

Les services de proximité

En plus de représenter leurs commettants au sein de l'arène parlementaire et d'y faire valoir leurs intérêts au sein du processus législatif, les députés rendent aussi des services de proximité essentiels aux citoyens qui font appel à leurs bureaux de circonscription. Comme le résume justement MacLeod, « [i]ls sont la première ligne, le point de contact, où l'on tente de remédier aux ratés de l'administration quand les programmes publics sont mal adaptés aux besoins du vrai monde et aux réalités de la vie sur le terrain ». 12

Les exemples ne manquent pas pour illustrer comment les employés en circonscription doivent travailler d'arrache-pied afin de répondre aux besoins des citoyens aux prises avec l'administration fédérale. Bien souvent impuissants et désespérés, les citoyens se tournent souvent vers leur député comme vers une bouée de sauvetage en dernier recours ou lorsque la situation est urgente.

Au fil du temps, les employés de circonscription développent une expertise en lien avec les scénarios les plus récurrents, comme les dossiers d'immigration bloqués et les prestations d'assurance-emploi qui tardent à arriver. Ils travaillent souvent de concert avec les organismes communautaires locaux afin de s'assurer qu'un suivi et un soutien soient apportés aux citoyens qui en ont besoin.

En plus de flux plus ou moins constants de dossiers divers, les bureaux de circonscription doivent épisodiquement faire face à des vagues de cas liés à une problématique ponctuelle découlant d'un programme fédéral.

En retraçant le cours des dernières années, on peut penser à la crise des passeports, au printemps et à l'été 2022, où des milliers de Québécois ont sollicité leur député dans l'espoir d'obtenir leur passeport avant leur départ de voyage.

Quelques mois plus tôt, la réponse humanitaire du Canada à des crises internationales – Afghanistan à l'automne 2021 et Ukraine à l'hiver 2022 – ont amené Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) à prioriser les dossiers d'immigration des ressortissants de ces pays. Cela a par conséquent fait exploser les délais subis par les autres demandeurs, causant du même coup un pic de consultations dans les bureaux de circonscriptions.

Enfin, la crise sanitaire de COVID-19 a entraîné une réponse gouvernementale d'une ampleur monumentale. La mise sur pied de programmes d'urgence a entraîné un déversement de citoyens et d'entrepreneurs ayant besoin d'accompagnement, dont plusieurs se sont tournés vers leur député.

Comme il est possible de le constater, les besoins auxquels répondent les bureaux de circonscription sont nombreux, variés et importants. Qu'il soit question de réunir une famille d'immigrants ou de faire débloquer des prestations d'assurance-emploi qui doivent permettre de mettre de la nourriture sur la table, ils rendent des services essentiels.

Cette réalité est d'autant plus vraie en milieu rural, où les électeurs « font plus appel à leurs représentants élus soit à cause de l'absence des ressources plus diversifiées dont disposent les centres urbains soit pour d'autres raisons ». 13

Une autre spécificité des circonscriptions rurales de grande superficie consiste à établir, en plus d'un bureau principal, un, deux ou trois bureaux satellites, qui permettent d'assurer une présence territoriale plus équilibrée. Les employés qui y travaillent prennent le pouls de leur communauté en temps réel et s'assurent de relayer les enjeux des périphéries au reste de l'équipe. Aussi, ces employés peuvent représenter le député lors d'événements locaux, ce qui permet une présence assidue et équitable dans toute la circonscription. Assurer une telle présence serait impossible sans les bureaux satellites en raison des grandes distances et des temps de déplacement impliqués. Cela contraste fortement avec plusieurs circonscriptions urbaines, où un député peut couvrir l'ensemble de sa circonscription à la marche.

Ainsi, l'ensemble des services de proximité rendus par les bureaux d'Amqui, de Carleton, de Matane et de Price dans l'actuelle circonscription d'Avignon—La Mitis—Matane—Matapédia ne pourront être maintenus si la proposition actuelle de redécoupage électoral est mise en œuvre. En effet, le budget des deux députés qui hériteront de ces territoires ne sera définitivement pas suffisant pour garder en opération autant de bureaux. Ultimement, cela éloignera les services du citoyen, et marginalisera particulièrement les communautés éloignées des centres de population, car ce sont celles-ci qui verront leur bureau satellite fermer ses portes. Paradoxalement, ce sont ces mêmes communautés qui ont souvent le plus besoin des services de leur député en raison de la faible présence des services fédéraux près de chez eux et de la faible littéracie numérique, qui vient limiter leur capacité à accéder de manière autonome aux ressources gouvernementales en ligne.

Pour ces raisons, le sacrifice d'une circonscription dans l'Est-du-Québec signifierait nécessairement une perte nette de services pour les citoyens du Bas-Saint-Laurent, qui souffrent déjà d'un déficit en la matière. L'importance des bureaux de circonscription dans notre région ne doit pas être sous-estimée.

Une tendance démographique qui s'inverse

Le dernier élément que nous soulèverons concerne la tendance démographique au Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie. Comme mentionné plus tôt, la Commission a relevé à juste titre que la tendance observée au cours des dernières décennies est négative. À cette échelle de temps, il est impossible de contester les données présentées par la Commission.

Cependant, si on se penche sur les bilans démographiques publiés par l'Institut de la statistique du Québec pour les deux dernières années, 14 le constat est tout autre : le solde de migration interrégionale du Bas-Saint-Laurent et de Gaspésie-Îles-de-la-Madelaine est largement positif, ce dont témoignent les tableaux 2 et 3.

Tableau 2 - Solde migratoire interrégional, Bas-Saint-Laurent, 2010-2011 à 2020-2021
Solde migratoire interrégional, Bas-Saint-Laurent, 2010-2011 à 2020-2021
Tableau 3 - Solde migratoire interrégional, Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, 2010-2011 à 2020-2021
Solde migratoire interrégional, Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, 2010-2011 à 2020-2021

Ces chiffres se traduisent par un bilan migratoire de 5,2 pour 1000 au Bas-Saint-Laurent pour l'année 2020-2021, alors que la moyenne pour l'ensemble du Québec est plutôt de 3,0 pour 1000. Pour Gaspésie–Îles-de-la-Madelaine, le bilan est encore plus élevé, à 14,8 pour 1000.

Bien sûr, les deux dernières années ont été caractérisées par un contexte inédit et particulier, alors que la pandémie de COVID-19 a dramatiquement bousculé le mode de vie de toute la population québécoise et canadienne. Ces perturbations ont entraîné un ralentissement des déplacements des régions vers les villes et une forte accélération des déménagements dans les régions.

Pour plusieurs, cette décision s'explique vraisemblablement par la normalisation du télétravail combinée au branchement progressif des régions du Québec à Internet haute vitesse, qui a mis fin à la nécessité absolue de résider près de son lieu d'emploi.

Alors que la limitation des rassemblements et des déplacements a confiné plusieurs citadins dans un espace restreint, la possibilité de disposer d'une habitation plus spacieuse et d'avoir facilement accès à de grands espaces a probablement attiré plusieurs ménages dans les régions plus éloignées.

Enfin, la hausse fulgurante de la valeur l'immobilier dans les grands centres a fait déchanter plusieurs ménages qui désiraient devenir propriétaires. Ces derniers ont vite réalisé que leur rêve était beaucoup plus réaliste et accessible en région, et cela a aussi pu contribuer à l'engouement ressenti au cours des dernières années.

Les dernières années ont donc été caractérisées par un chamboulement des dynamiques migratoires interrégionales au Québec. Les effets de la COVID-19 sur l'organisation de notre société semblent là pour rester, qu'on parle du télétravail, de la connexion élargie à internet haute vitesse ou encore de l'effritement de l'accès à la propriété dans les grands centres. Il est difficile d'évaluer quels impacts auront ces circonstances à moyen et long terme sur la démographie de nos régions.

Ainsi, en ces temps d'incertitude, il semble bien hasardeux de prendre une décision dont les conséquences se feront sentir pour les prochaines décennies. Plutôt que d'éliminer la circonscription d'Avignon–La Mitis–Matane–Matapédia et risquer de contribuer à relancer un déclin qui tend à s'inverser, il serait plus sage d'attendre de voir quelle évolution démographique connaîtra la région au cours de la prochaine décennie. Encore une fois, le statu quo est l'avenue à privilégier pour préserver les intérêts de l'Est-du-Québec.

Conclusion

Nous comprenons que le travail de redécoupage qui revient à la Commission est à la fois d'une grande importance pour la vie démocratique du Québec et du Canada. Il revêt en outre une grande complexité en raison de la nécessité de concilier plusieurs impératifs et principes dans le but d'atteindre un résultat équitable et qui maximise la représentativité effective de la population. Pour le travail minutieux et rigoureux, nous tenons à remercier la Commission. Nous sommes convaincus qu'elle est guidée par les plus hauts idéaux démocratiques et qu'elle met à profit l'expérience et l'expertise de ses Commissaires.

Cependant, nous croyons que la proposition qui a été présentée par la Commission entraînerait des conséquences négatives et importantes pour les régions du Bas-Saint-Laurent et de Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, en plus d'affaiblir la représentativité des régions dans leur ensemble.

Cette décision a été justifiée en raison des écarts négatifs importants que trois des circonscriptions à l'est de Montmagny comportent par rapport au quotient électoral ainsi que par la tendance démographique négative qui s'observe sur un horizon de plusieurs dizaines d'années.

Or, nous croyons que les autres considérations que nous avons exposées dans le présent mémoire justifient le maintien du statu quo à quatre circonscriptions.

Les régions-ressources ont joué un rôle crucial dans le développement économique et social du Québec. Elles constituent une partie importante de l'identité collective que nous avons tissée au fil des siècles. Des communautés riches et différenciées ont pu s'y développer, transformées par le territoire qu'elles occupent autant qu'elles ont transformé ce dernier.

Aujourd'hui plus que jamais, nos régions font face à des enjeux qui font qu'elles ont besoin d'oxygène pour continuer à briller de manière pérenne. Pénurie de main-d'œuvre. Vieillissement de la population. Coupure des services gouvernementaux. Crise du logement. Pour y répondre, une coordination des acteurs gouvernementaux, économiques, communautaires et citoyens est nécessaire.

L'attraction et la rétention de main-d'œuvre qualifiée sont cruciales. Or, avec un tel redécoupage, le message qu'on envoie aux Québécois est celui de la consécration du déclin. C'est un message qui dit qu'il est préférable de s'installer ailleurs, au moment même où un vent de dynamisme amène dans nos régions un grand nombre de nouveaux habitants ou d'exilés qui reviennent.

Est-ce vraiment l'objectif de la Commission ? Je ne crois pas.

Pour l'avenir de nos régions, n'affaiblissons pas la voix de l'Est-du-Québec. Conservons intacte la circonscription d'Avignon—La Mitis—Matane—Matapédia.

Notes de bas de page

1 Proposition de la Commission de délimitation des circonscriptions électorales fédérales pour la province de Québec (2022), p. 14 : https://redecoupage-redistribution-2022.ca/com/qc/prop/qc-prop_f.pdf

2 Idem

3 Ibid., p.13.

4 Idem

5 Cour suprême du Canada, renvoi : Circ.électorales provinciales (Sask.), (1991) 2 R.C.S. 158

6 Idem

7 Idem

8 Ministère de l'Économie et de l'Innovation, Portrait économique des régions du Québec (2021), p. 8, https://www.economie.gouv.qc.ca/fileadmin/contenu/documents_soutien/ regions/portraits_regionaux/PERQ_2021.pdf

9 Courtney, Johnc C., La Communauté d'intérêts et le redécoupage des circonscriptions électorales, (2002)

10 Idem

11 Idem

12 Macleod, Peter, Comment organiser efficacement son bureau de circonscription, (2006), Revue parlementaire canadienne, p.9, f-056511.vp (revparl.ca)

13 Cour suprême du Canada, Renvoi : Circ.électorales provinciales (Sask.), (1991) 2 R.C.S. 158

14 Institut de la statistique du Québec, Fiches démocratiques – Les régions administratives du Québec en 2021 (2021), https://statistique.quebec.ca/fr/fichier/fiches-demographiques-regions-administratives-quebec-2021.pdf

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