Redécoupage des circonscriptions fédérales de 2022

Commentaire 21 (8 septembre 2022) commentaires et rétroaction

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Alexis Brunelle-Duceppe, député de Lac-Saint-Jean

Allocution — Audiences publiques sur le redécoupage électoral fédéral 2022

  • Chers commissaires,
  • Chers élus,
  • Chers concitoyens,

Merci d'être aujourd'hui à Rimouski pour tenir, participer ou assister à cette séance d'audiences publiques sur le redécoupage de la carte électorale fédérale.

Le processus de redécoupage électoral décennal est à la fois important, délicat et complexe. Une multitude d'enjeux et de considérations parfois contradictoires doivent être intégré à une réflexion qui vise ultimement à rendre nos institutions démocratiques saines, équitables et représentatives.

La Proposition déposée par la Commission le 29 juillet dernier reflète le travail minutieux et rigoureux qui a été mené. Je tiens à vous remercier, Messieurs les Commissaires, pour la rigueur et le professionnalisme qui ont caractérise votre travail.

Je m'adresse à vous aujourd'hui en portant plusieurs chapeaux. Le premier est celui de députe de Rimouski-Neigette-Témiscouata-Les Basques, en vertu duquel j'ai l'honneur et la responsabilité de représenter plus 85 000 citoyens repartis sur plus de 7500 km2 de territoire bas-laurentien. Au total, je porte la voix de 39 municipalités qui forment autant de communautés aux enjeux, intérêts et priorités uniques.

Mon deuxième chapeau et celui de régionaliste. Je suis intimement et profondément convaincu que les régions sont des milieux de vie exceptionnels qui offrent à la fois qualité de vie, solidarité, en plus d'un accès privilégié a la nature et aux ressources naturelles qui nous nourrissent, littéralement et figurativement. Je crois qu'il est nécessaire que les décideurs aient un souci de mise en valeur, de protection et de considération a regard de ces grands territoires et des citoyens qui les habitent, partout au Québec et au Canada. Nous devons aussi être conscients des enjeux différencies auxquels font face les régions pour y offrir des solutions appropriées.

Enfin, je m'adresse à vous en tant que Bas-Laurentien. Je suis ne ici, j'ai grandi ici, j'ai étudié ici, et j'ai maintenant la chance de me consacrer à temps plein à ma région. Dire que je l'ai à cacheur relevé donc de l'euphorise. Je me soucie de sa prospérité aujourd'hui, mais aussi de ce qu'elle deviendra dans 5 ans, dans 20 ans et dans 100 ans.

Si j'ai demandé à être entendu aujourd'hui, c'est donc en ayant avant tout l'intérêt de ma région en tête et parce que je crois que Ia Proposition de redécoupage électoral qui a été déposée par votre Commission, dans son état actuel, menace d'affaiblir la voix du Bas-Saint-Laurent et de tout l'Est-du-Québec, de priver ses citoyens de ressources grandement nécessaires et d'ultimement accélérer un déclin qui tend pourtant à s'inverser.

Pour éviter ce scenario inacceptable, je vous demande de maintenir le statu quo a quatre circonscriptions dans l'Est-du-Québec et de renoncer à éliminer la circonscription d'Avignon-Matane-La Mitis — Matapédia. Tout autre scenario que le statu quo sera préjudiciable aux intérêts des Bas-Laurentiennes et des Bas-Laurentiens, et plus largement, a la représentation des intérêts des régions au sein du processus législatif.

Contrairement à ce que la consultation de Ia Proposition peut le laisser croire, il est faux d'affirmer que la perte d'une circonscription dans l'Est-du-Quebec est ineluctable.

En effet, on y justifie cette decision par deux arguments demographiques. Le premier est que « deux circonscriptions excèdent la limite de -25 % et trois des quatre circonscriptions les moins peuplées du Québec se situent dans cette région. » On cloue le cercueil de l'Est-du-Québec en avançant que « cette situation s'inscrit dans un déclin amorce il y a plusieurs décennies. En 35 ans, le Bas-Saint-Laurent a perdu 7,5 % de sa population, et la Gaspésie, 19,8 % ».

Avec égard au travail de Ia Commission, je crois que la lecture attentive de la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales laisse envisager une autre avenue que celle qui a été retenue.

D'abord, l'alinéa 15(1)a) édicte que le découpage doit se faire de telle manière que « le chiffre de la population de chacune des circonscriptions corresponde dans la mesure du possible au quotient » électoral. II ne fait pas de doute que l'alinéa 15(1)a) a été intègre à la réflexion de la Commission, alors que l'argumentaire qu'elle a présenté est strictement mathématique et lie à la démographie.

Par contre, aucun élément de l'alinéa 15(1)b) n'est mentionné, alors que ce dernier est tout aussi déterminant. II lance en effet que « sont à prendre en considération » des éléments « dans la détermination de limites satisfaisantes ». Ces éléments incluent la communauté d'intérêts, la spécificité d'une circonscription, son évolution historique ainsi que la superficie de la circonscription.

En plus des éléments qui sont explicitement mentionnes dans l'alinéa 15(1)b), la Cour Supreme a établi, dans l'arrêt Carter, que la liste d'éléments pouvant justifier une dérogation au quotient électoral est non exhaustive, et que d'autres éléments peuvent entrer en ligne de compte.

Maintenant, on peut se demander si les éléments spécifiques à l'Est-du-Québec peuvent justifier que l'on conserve des écarts importants avec le quotient électoral? Le paragraphe 15 (2) répond que c'est bel et bien une possibilité :

2) Les commissions peuvent déroger au principe énonce par l'alinéa (1)a) chaque fois que cela leur paraît souhaitable pour l'application des sous-alinéas (1)b)(i) et (ii). Le cas échéant, elles doivent toutefois veiller à ce que, sauf dans les circonstances qu'elles considèrent comme extraordinaires, l'écart entre la population de la circonscription électorale et le quotient mentionne à l'alinéa (1)a) n'excède pas vingt-cinq pour cent.

Ainsi, si des « circonstances extraordinaires » sont rassemblées, l'écart de population vis-à-vis le quotient électoral peut excéder 25 %.

C'est ce qui a déjà été fait lors du dernier redécoupage fédéral, en 2012, pour les circonscriptions de Labrador, à Terre-Neuve-et-Labrador, qui affichait un écart de -64%, de Kenora, en Ontario, qui s'écartait de -47% du quotient électoral, et d'Avignon-Matane-La Mitis-Matapédia, qui était alors de 26%.

Un tel précèdent existe aussi au palier québécois. En 2011, la Commission de la représentation électorale du Québec avait recommandé un statut particulier pour la circonscription de Gaspe, même si le nombre d'électeurs ne suffisait pas à le justifier. Pour supporter son choix de ne pas modifier le découpage, la Commission avait énoncé que dans un tel scenario, « les distances à parcourir pour cette circonscription seraient très importantes et la délimitation ferait en sorte de scinder les territoires habites aux abords de Matane. La délimitation privilégiée entre les circonscriptions de Gaspe et de Matane-Matapedia est donc plus respectueuse des communautés naturelles et des limites des régions administratives et des MRC. »

Un statut d'exception pour l'Est-du-Québec est donc chose possible juridiquement, et des précédents en ce sens existent. Pour les raisons que je présenterai désormais, je démontrerai que c'est aussi la chose souhaitable.

Le premier élément qui pousse en faveur du statu quo est celui de la communauté d'intérêts.

Selon John C. Courtney, professeur émérite à l'Université de Ia Saskatchewan, le fondement de ce concept « repose sur la reconnaissance et ('acceptation du principe selon lequel un groupe de personnes vivant sur un territoire partage des attributs. »

Toujours selon M. Courtney, « [s]i l'on considère que les intérêts en cause sont suffisamment importants ou, autrement dit, si l'on considère que l'on nuirait aux intérêts de la communauté si on la répartissait entre deux circonscriptions ou plus, il serait justifié, selon ce principe, de la garder intacte et de l'intégrer a une circonscription spécifique. Dans ce cas, on pourrait dire que la communauté d'intérêts a éclipsé le principe de rééquilibre démographique entre ces circonscriptions. »

La proposition actuelle ignore complètement cette recommandation éclairée. Dans une volonté mathématique de redistribuer les fragments d'Avignon-La Mitis-Matane-Matapédia, elle fait fi de la dimension humaine en fracturant trois municipalités régionales de comte, soit les MRC de la Matapédia, de la Matanie et d'Avignon.

II ne faut pas prendre à la légère la séparation de communautés d'intérêts. Au Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie, celles-ci passent beaucoup par les MRC, des entités administratives structurantes pour leur milieu. Je suis d'ailleurs certain que M. Bertin et Mme Lavoie seront en mesure de vous en dire plus sur le sujet, et donc, je passerai au prochain élément, qui est celui de la perte nette de services et de ressources que le redécoupage entrainerait pour les citoyennes et citoyens du Bas-Saint-Laurent.

II est important de bien comprendre le rôle que jouent les bureaux de circonscription des députés dans une région comme la nôtre. En milieu rural, où la densité de population est plus faible qu'en ville, les services gouvernementaux tendent à ne pas être aussi près et accessibles aux citoyens. C'est d'ailleurs un des enjeux en lien avec lequel j'interpelle le plus fréquemment les ministres qui forment le gouvernement. Dans ce contexte, les bureaux de circonscription et les bureaux satellites deviennent le premier point de contact pour les citoyens qui font face à des incompréhensions, a des délais ou à des rates de l'administration fédérale.

Les exemples de ce type ne manquent pas depuis mon entrée en poste, en 2019. Qu'on pense aux problèmes lies aux programmes de soutien lances durant la pandémie, auxShape fonctionnaires devant composer avec les inepties du système de paie Phenix, aux centaines de dossiers d'assurance-emploi qui prennent de quelques semaines a plusieurs mois avant de débloquer, a ceux pour qui l'attente de la délivrance d'un statut par Immigration, Refugies et Citoyenneté Canada se chiffre maintenant en années ou finalement, plus récemment, a la crise des passeports qui a été ressentie partout au Québec et ailleurs au Canada.

En plus de tous ces citoyens qui tendent la main vers nos bureaux de circonscription comme vers une bouée de sauvetage, nous recevons aussi dans nos bureaux des entreprises, des représentants d'organismes communautaires ainsi que de municipalités auprès de qui nous jouons un rôle de facilitateur en les orientant vers le bon programme, vers la bonne ressource ou vers le bon contact pour les aider à mener à bien leur projet.

Enfin, avec la grandeur du territoire que mes collègues députés de l'Est-du-Québec et moi devons couvrir, il est nécessaire d'opérer, en plus du bureau principal généralement situe dans la plus grande ville de la circonscription, un, deux ou même trois bureaux satellites afin d'offrir les mêmes services aux communautés plus rurales ou éloignées. Les employés de ces bureaux satellites ont le rôle de prendre le pouls de leur communauté au quotidien, de représenter le député dans certains évènements locaux et de partager l'actualité locale avec le reste de l'équipe. Ce rôle de courroie de transmission est essential pour bien représenter les citoyens qui vivent plus loin du bureau principal, et pour que leurs intérêts et enjeux soient entendus au quotidien.

Bien sûr, ces bureaux nécessitent aussi des ressources financières. On doit louer des locaux, engager du personnel et acheter du matériel pour que le tout soit fonctionnel. Ma collègue d'Avignon-La Mitis-Matane-Matapédia, pour bien desservir ses commettants, opère présentement un total de quatre bureaux : son principal est à Amqui, en plus de trois bureaux satellites a Carleton, Price et Matane.

Dans le scenario de redécoupage propose par Ia Commission, il est irréaliste de penser que les futurs députés auront les ressources pour maintenir un tel niveau de service. Selon une estimation réaliste, le supplément de budget que se verrait accorder chacun de ces députés en raison de la superficie de leur territoire et de la population qu'ils représentent avoisinerait les 28 000$ annuellement. 28 000$, ce n'est même pas assez pour engager une ressource à temps plein. Le gouffre financier serait majeur, et conséquemment, la perte de service pour des citoyens qui sont déjà délaisses par (l'administration fédérale, immense. Je le répète donc une autre fois : pour ne pas affaiblir encore plus les services et la représentation des gens de la région, il faut maintenir le statu quo.

Un autre argument qui est moins entendu, mais qui vaut la peine de souligner est celui de la tâche du député. Bien sûr, remplir cette fonction est pour moi et pour tous mes collègues un privilège absolu. La confiance que m'accordent mes concitoyens pour les représenter et être leur voix au sein du Bloc Québécois et au sein de la Chambre des communes m'honore profondément. Pour en être à la hauteur, je travaille plus souvent qu'autrement de jour, de soir et de fin de semaine pour accomplir les responsabilités qui sont les miennes. Cela implique notamment de parcourir les 750 kilomètres qui séparent Ottawa et le Bas-Saint-Laurent quelques dizaines de fois par armée. Cela implique aussi de passer au moins autant de temps sur les routes de Rimouski-Neigette-Temiscouata-Les Basques pour alter a la rencontre des citoyens des 39 municipalités qui component ma circonscription. Puisque chaque communauté a sa réalité propre, avec ses enjeux et ses défis uniques, il faut s'assurer de se rendre sur place pour rencontrer les gens qui les vivent au quotidien. D'un point de vue plus personnel, j'ai aussi la conviction qu'un député doit être implique personnellement dans sa communauté et dans la vie collective qu'elle merle.

Malheureusement, la suppression proposée d'Avignon-La-Mitis-Matane-Matapédia donnerait au prochain député de Rimouski-Matane des chaussures encore plus grandes à remplir. Alors qu'il est déjà extrêmement difficile de couvrir et de représenter 39 municipalités, le redécoupage ferait monter ce nombre a plus de 50 !

Chers commissaires, les députés ne possèdent pas le don d'ubiquité. De manière mathématique, plus on passe de temps seul dans notre voiture, moins il nous reste de temps pour accomplir nos fonctions à réelle valeur ajoutée. Nous avons aussi un conjoint(e), une famille, des enfants auprès de qui il est de plus en plus difficile de passer du temps. Compromettre d'autant plus la capacite des députés de maintenir un certain équilibre travail-famille découragera les candidate ou candidates potentiels issus de certains groupes démographiques à se présenter. A une époque caractérisée par (l'inclusion et l'accessibilisation, il serait dommage de faire un aussi flagrant pas de recul en ce sens.

Enfin, un dernier élément que j'aimerais porter à votre attention est celui de la tendance démographique de la région. Dans votre rapport, vous mentionnez que la région connait un déclin constant depuis 35 ans. II est vrai qu'a cette échelle, on peut bien voir une tendance négative au sein de la population. Cependant, si on se penche sur les dernières années, le portait est tout autre !

L'Institut de la statistique du Québec a public récemment ses dernières données démographiques. On y constate un bilan migratoire positif et fortement croissant au Bas-Saint-Laurent depuis 2018-2019.

De — 132 en 2017-2018, on est passés à +125 en 2018-2019, à +719 en 2019-2020 et a un impressionnant +1597 en 20202021 ! La Gaspésie connait un schéma similaire, avec 5 années positives consécutives.

Je reconnais qu'il est pour ('instant difficile de dire si cette tendance s'inscrira dans la durée, ou s'il s'agit de circonstances exceptionnelles liées à la pandémie de COVID-19. Cependant, on peut voir que plusieurs transformations ont présentement cours dans la région, et qu'elles contribueront durablement à son attractivité. Je pense notamment au télétravail, qui est là pour de bon, a l'accès à Internet haute vitesse, qui sera intégralement complète au début de l'année 2023, à l'accès a la nature et a la propriété, qui sont nettement plus présents en région qu'en ville, et au développement de la couverture cellulaire qui s'effectue à grande vitesse.

Je vous le demande donc, chers Commissaires : alors que notre région traverse un moment charnière et démontre des signes encourageants de croissance et de dynamisme, ne vaudrait-il pas mieux s'abstenir de poser aujourd'hui des gestes permanents qui pourraient précipiter son déclin ?

J'aurais pu continuer à présenter des considérations qui justifient que le statu quo soit maintenu dans la region.

Qu'on pense seulement à la diminution de la représentation de la ruralité à la Chambre des communes et (l'impact que cela peut avoir sur le processus législatif. Le fait qu'une majorité de députés urbains décident des lois qui influenceront les activités économiques et sociales des régions est préoccupant.

Qu'on pense au rôle de premier plan qu'un député peut jouer au sein de sa communauté en tant qu'ambassadeur, pour alerter la population sur des enjeux, ('informer et la mobiliser dans un but précis.

Qu'on pense au message que cela envoie à l'échelle nationale quant a ('importance qu'on accorde à nos régions et a (l'occupation de notre territoire, en dehors des métropoles.

Pour toutes ces raisons, il m'apparait justifie, d'un point de vue juridique, politique, et éthique, de préserver le statu quo a quatre députés entre Montmagny et les Iles-de-la-Madeleine. Supprimer Ia circonscription d'Avignon-Matane-La Mitis-Matapédia constituerait une grave erreur. Je le redis, notre région est à un moment charnière de son histoire. Entre nos mains, le pouvoir de la faire basculer vers le déclin ou de la propulser vers le haut.

Ne passons pas à l'histoire comme la génération qui a laissé nos régions s'éteindre.

Aidons-les à rester debout! Préservons Ia voix de l'Est-du-Québec!

Merci.

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