Redécoupage des circonscriptions fédérales de 2022

Oppositions relatives au processus

Plusieurs députés ont exprimé, dans leur opposition, des préoccupations relatives aux procédures suivies par la Commission.

Le fait que la Commission n'ait pas donné l'occasion au public de s'exprimer après la publication de son Rapport a souvent été contesté. Plusieurs députés ont objecté que seuls des changements mineurs devraient être présentés après les consultations publiques. Le fait que certains des changements présentés dans le Rapport soient majeurs nécessiterait, selon eux, une seconde série d'audiences publiques afin de respecter le processus établi et l'équité procédurale.

La Commission prend très au sérieux l'accusation d'iniquité procédurale. Les commissions, chargées de délimiter le territoire par lequel la représentation est constituée, s'inscrivent dans la dimension formelle de la représentation1. Au Canada, la légitimité des commissions de délimitation des circonscriptions électorales repose sur leur indépendance à l'égard du gouvernement et leur impartialité politique.

La Commission convient tout à fait que les audiences publiques sont un élément essentiel du processus de redécoupage. En plus d'apporter aux commissions des connaissances locales très utiles sur l'endroit précis où tracer des limites raisonnables, elles permettent aux citoyens de s'exprimer et de se faire entendre, ce qui est l'un de leurs principaux objectifs. Ainsi, le raisonnement suivi par les commissions pour prendre leurs décisions est plus transparent. Ces éléments renforcent la confiance dans la procédure et la légitimité de cet important processus démocratique.

Précisons toutefois que tous n'obtiendront pas ce qu'ils demandent. Dans certains cas, un grand nombre de personnes pourraient être mécontentes d'une décision touchant leur circonscription. Ce n'est évidemment pas le but de la Commission, mais il s'agit du résultat inévitable de la logique d'un redécoupage équitable.

La Commission a largement rempli le mandat que lui confère la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales en ce qui concerne les règles de procédure. Selon ces règles, la Commission doit tenir au moins une audience publique après la publication de sa proposition pour entendre les observations du public et des députés (article 19). La Commission a d'abord sollicité l'avis du public lorsqu'elle a commencé à rédiger sa proposition (février 2022). Après la publication de sa proposition (août 2022), la Commission a tenu 23 audiences publiques, à distance et en personne, partout dans la province. La Commission a reçu 2 361 observations orales et écrites, en plus de multiples pétitions en réponse à sa proposition. Il aurait été irresponsable de notre part de n'apporter que des modifications mineures en réponse aux nombreux et précieux commentaires formulés par le public à cette étape.

Les règles fixent également des délais stricts pour les travaux de la Commission (articles 20 à 23). Ces travaux comprennent l'étape de la proposition, suivie de la préparation du rapport, lequel doit prendre en considération les observations orales et écrites recueillies dans le cadre des audiences publiques. Les règles de procédure donnent également aux députés une seconde occasion de présenter des oppositions, lesquelles sont dûment examinées par la Commission. De plus, des délais stricts sont prévus pour la préparation, la publication et la proclamation du décret de représentation (articles 24 à 28) découlant du processus de redécoupage.

L'Ontario est une vaste province, ce qui rend la tâche de la Commission considérablement plus grande et plus complexe que celle des autres commissions. Le calendrier de la commission pour l'Ontario est très serré. En outre, notons que si le calendrier commence par la publication des données démographiques de chaque province par le statisticien en chef du Canada, la plupart des données nécessaires au travail des commissions sont publiées progressivement et ne sont disponibles que plusieurs mois après le début du processus. Par conséquent, en préparant son rapport, la Commission ne tient pas seulement compte de ce qu'elle a appris lors des audiences publiques, elle traite également pour la première fois une grande partie des principales données démographiques tirées du questionnaire détaillé du recensement, lesquelles sont nécessaires pour comprendre la relation entre les limites proposées et les communautés d'intérêts potentielles (telles que les langues officielles, les minorités visibles et divers indicateurs socio-économiques).

Pour accomplir la tâche qui lui incombait, la Commission a demandé et obtenu une prorogation de deux mois, comme le prévoit le paragraphe 20(2) de la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales. Nous avons pu terminer les travaux dans les délais. Cependant, nous n'avons pas été en mesure d'organiser et de tenir une seconde série d'audiences publiques. Une seconde série d'audiences aurait nécessité la publication préalable du Rapport, l'annonce de la tenue d'audiences publiques ainsi qu'une période supplémentaire pour étudier les observations formulées et procéder aux révisions éventuelles. Ces travaux auraient largement dépassé les délais fixés par la Loi.

En fait, même si nous avions disposé de plus de temps, deux problèmes importants subsisteraient. En premier lieu, il est difficile de déterminer le seuil à partir duquel des modifications importantes au Rapport devraient nécessiter d'autres consultations. En second lieu, le but substantiel de telles audiences n'est pas clair. Elles pourraient donner l'impression qu'un plus grand nombre de personnes auraient l'occasion de s'exprimer sur les changements qui les touchent; cependant, le fait est que toute révision importante apportée à cette étape produirait une cascade de changements qui donneraient à d'autres le sentiment de ne pas avoir été consultées.

Même si, malheureusement, tous ne seront pas satisfaits du tracé d'une circonscription, l'essentiel est que l'ensemble du processus renforce la confiance dans l'équité fondamentale de notre démocratie représentative. La confiance du public dans une démocratie représentative demeure fragile, et tout porte à croire qu'elle s'effrite au Canada2. Des accusations infondées sur l'iniquité de la procédure peuvent la compromettre encore davantage. Les déclarations publiques fausses et trompeuses des députés, telles que les allégations de remaniement arbitraire des circonscriptions canadiennes ou de processus privant les citoyens de leur droit, sapent la confiance du public dans la démocratie. Les députés, tout particulièrement, ne devraient pas dénigrer les institutions démocratiques parce qu'elles ne leur donnent pas les résultats qu'ils souhaitent.

La Commission rejette fermement l'accusation d'iniquité procédurale. Néanmoins, le Parlement pourrait envisager de modifier la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales afin de renforcer la confiance du public dans cet important processus, en gardant à l'esprit que de nombreux citoyens ont exprimé leur confiance et leur appui à l'égard du processus de redécoupage indépendant et non partisan, et ce, dans sa forme actuelle.

Notes de bas de page

1 Pitkin, H. 1967. The Concept of Representation, Berkeley and Los Angeles: University of California Press.

2 Foa, R. S., Klassen, A., Slade, M., Rand, A. et R. Collins. 2020. The Global Satisfaction with Democracy Report 2020, Cambridge, United Kingdom: Centre for the Future of Democracy. See page 265 of the french pdf for reference..