Redécoupage des circonscriptions fédérales de 2022

Partie III – Consultation publique

La Proposition a suscité de nombreuses réactions. La Commission a reçu plus de 300 commentaires et mémoires et 161 personnes, dont 34 députés, 16 préfets et 41 élus municipaux, sont intervenues devant elle lors des audiences publiques.

La Commission a tenu 20 séances de consultation publiques, entre le 6 septembre et le 13 octobre 2022, dont 17 en personne à Gaspé, Matane, Rimouski, Rivière-du-Loup, Montréal (2 jours), Saguenay, Lévis, Québec, Saint-Jérôme, Sainte-Adèle, Gatineau, Val-d'Or, Salaberry-de-Valleyfield, Longueuil, Sherbrooke et Thetford-Mines, de même que trois séances virtuelles.

Le déroulement des audiences publiques a été planifié de façon à couvrir le plus de territoire possible et à entendre, en personne ou virtuellement, le plus de citoyens possible.

La Commission a préparé chacune des séances de consultation avec soin. Tous les participants (de même que les personnes inscrites comme observateurs) ont été avisés à l'avance de l'ordre dans lequel ils seraient appelés à intervenir et du temps mis à leur disposition.

Au début de chaque séance, la Commission attirait l'attention des participants et des observateurs sur sa totale indépendance à l'égard du gouvernement, son mandat et l'importance de la consultation publique.

Les membres de la Commission ont été impressionnés par la pertinence et la qualité des résolutions, observations et mémoires reçus et des interventions faites lors des séances publiques. Les échanges se sont déroulés dans le respect des uns et des autres et ils ont indéniablement enrichi la réflexion des membres de la Commission.

Les commentaires ont porté tant sur les limites des circonscriptions électorales que sur leur nom. Pour éviter les redites, les commentaires sont résumés dans la partie « Analyse et décisions » du rapport, pour chacun des dix ensembles territoriaux, suivis des décisions prises par la Commission, motifs à l'appui.

Commençons par un aperçu général des commentaires.

En ce qui a trait aux limites, les commentaires se sont articulés autour de quelques grands thèmes récurrents : la nécessité d'une représentation effective, la préservation du poids politique des régions par rapport aux centres urbains, le respect des communautés d'intérêts, etc. De façon générale, on peut dire qu'en matière de redécoupage de la carte électorale, les gens n'aiment pas le changement, la préservation du statu quo apparaissant souvent en haut de leur liste de demandes. Le maintien des services aux citoyens est au cœur des préoccupations exprimées par tous les élus (députés, maires, préfets, etc.) et les intervenants communautaires qui ont comparu devant la Commission. Enfin, et il convient de le souligner, la très vaste majorité des intervenants ont reconnu la complexité de la tâche des commissaires.

Pour ce qui est des changements de nom proposés, la majorité visaient à ce que la carte électorale fédérale reflète mieux la présence des Autochtones au Québec, et singulièrement de chacune des dix Premières Nations et de la Nation inuite.

Les réactions ont été généralement favorables.

Les réactions plus négatives ont porté sur la longueur des noms des circonscriptions, auxquels la Commission avait ajouté une référence autochtone, ou deux. Plusieurs acceptaient moins bien l'ajout de telles références lorsque cela signifiait la disparition de l'un ou l'autre des éléments formant le nom actuel de la circonscription. D'autres doutaient de la nécessité d'ajouter une référence autochtone lorsque le nom de la circonscription en contient déjà une, ou ce qui semble en être une.

La Commission remercie chaleureusement les communautés autochtones qui ont répondu à son invitation de réagir aux noms, mots et toponymes proposés.

La Commission rappelle enfin, comme elle le faisait dans la Proposition, que l'ajout d'une référence autochtone au nom d'une circonscription ne doit pas être perçu, ou interprété, comme étant une prise de position de la Commission à l'égard de quelque revendication que ce soit visant le territoire de cette circonscription ou quelque territoire que ce soit par la nation autochtone à laquelle la référence se rattache ou par quelque nation autochtone que ce soit.

Finalement, plusieurs citoyens se sont plaints de la longueur des noms que portent les circonscriptions au Québec. Ils ont invité la Commission à faire un effort additionnel pour les raccourcir, y allant même de leurs suggestions. La Commission a pris acte de ce souhait et propose maintenant plusieurs noms allant en ce sens, un bon nombre de ces noms provenant des suggestions faites par des citoyens. La Commission les en remercie.

Avant de clore ce chapitre consacré à la consultation publique, la Commission croit nécessaire de revenir sur quatre sujets dont il a été question tout au long de ses travaux : la notion de « communauté d'intérêts », la notion de « représentation effective », l'écart-cible de 10 % en plus ou en moins du quotient électoral, et enfin, l'ajout de références autochtones dans le nom de certaines circonscriptions.

Premièrement, la notion de « communauté d'intérêts ». Il s'agit d'une notion que la Loi ne définit pas. La définition du Réseau du savoir électoral (auquel Élections Canada collabore) permet de saisir l'ampleur des situations que couvre cette notion :

On entend généralement par là un groupe de personnes qui partagent les mêmes intérêts et les mêmes valeurs. Ces valeurs peuvent être le résultat d'une histoire ou d'une culture commune, d'une ascendance ethnique commune, ou de toute autre expérience partagée par des électeurs à la base de laquelle on retrouve des intérêts communs1.

Les gens sont soucieux de ne pas voir leur coin de pays perdre du poids politique à la Chambre des communes, et cela se comprend aisément. Confrontés à un déclin relatif de la population, ils sont nombreux à demander à la Commission de ne pas hésiter à faire abstraction du critère numérique que constitue le quotient électoral (« une personne, une voix ») pour privilégier plutôt les critères plus subjectifs que sont les notions de représentation effective, de spécificité d'une région et de communauté d'intérêts.

Plusieurs demandent alors à la Commission de respecter les limites physiques déjà établies à des fins administratives, politiques ou économiques (par exemple, les municipalités régionales de comté (MRC), les villes et municipalités, de même que leurs arrondissements et même, parfois, leurs districts électoraux, les tables de concertation régionale, les regroupements à saveur identitaire, les ententes intermunicipales pour le partage d'équipements sportifs ou la cueillette des ordures, les organismes de bassins versants..., la liste est longue). Il semble que ces nombreux territoires de référence peuvent rapidement constituer autant de nouvelles bases identitaires associées au concept de « communauté d'intérêts », et ce, même lorsque la rationalité à l'origine de ces entités était purement administrative ou économique.

Il ne s'agit pas de remettre en question ces initiatives. La Commission tient à souligner, toutefois, que son mandat est de revoir la carte électorale selon les principes énoncés dans la Loi et qu'en conséquence, le respect intégral des limites de toutes ces « communautés d'intérêts » est tout simplement impossible.

Comme d'autres commissions l'ont dit avant celle-ci, la défense du statu quo ne relève pas du mandat de la Commission. Bien au contraire! D'autant que le refus du changement par les uns signifie que les inévitables bouleversements que commande l'application de la Loi tous les dix ans devront nécessairement être supportés par les autres. Ce qui, on le comprend aisément, serait inéquitable.

Bref, la notion de « communautés d'intérêts » (et, dans une moindre mesure de « spécificité », « d'historique » et de « trop vaste » superficie) a le dos large quand vient le temps de demander une dérogation. Trop peut-être! Le risque est que les dérogations deviennent la règle et que le principe fondamental en matière de découpage d'une carte électorale, celui de l'égalité de tous en termes de poids électoral, soit relégué aux oubliettes, ce qui ne saurait être dans le cadre législatif actuel.

Deuxièmement, la représentation effective. Plusieurs invoquent le concept de représentation effective mis de l'avant dans l'arrêt Carter2 pour justifier une dérogation au principe d'un redécoupage voulant « que le chiffre de la population de chacune des circonscriptions corresponde dans la mesure du possible au quotient [électoral] » énoncé au sous-paragraphe 15 (1) a) de la Loi.

Il est exact que, dans son étude de l'étendue du droit de vote conféré par l'article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés, la Cour suprême conclut, à la majorité, sous la plume de la juge McLachlin (avant qu'elle soit juge en chef) que « l'objet du droit de vote garanti à l'art. 3 de la Charte n'est pas l'égalité du pouvoir électoral en soi, mais le droit à une 'représentation effective' » (p. 183). La Cour suprême précise toutefois que la « première » condition de la représentation effective demeure toujours celle de la parité relative du pouvoir électoral (p. 183), ajoutant un peu plus loin que « [la] parité du pouvoir électoral est d'importance primordiale mais [qu'] elle n'est pas le seul facteur à prendre en compte (p. 184). « Il se fait donc que des dérogations à la parité électorale absolue peuvent se justifier en présence d'une impossibilité matérielle ou pour assurer une représentation plus effective. À part cela, l'affaiblissement du vote d'un citoyen comparativement à celui d'un autre ne devrait pas être toléré » (p.185).

En somme, la parité n'est pas le seul critère mais elle demeure le plus important.

Troisièmement, l'écart de 10 % par rapport au quotient électoral. Quelques-uns ont mis en doute l'opportunité, voire la légalité, d'un tel écart-cible mentionné dans la Proposition, la Loi référant plutôt à un écart de 25 % (art. 15 (2)).

Il convient de revenir brièvement sur cette question afin de dissiper tout possible malentendu.

La Loi impose aux commissions de viser un écart de 0 %, et non de 25 % ou de 10 % (« que le chiffre de la population de [chaque circonscription] corresponde dans la mesure du possible au quotient [électoral] » (art. 15 (1) a)), avec possibilité de dérogation « chaque fois que cela [...] paraît souhaitable pour l'application » des facteurs énoncés aux sous-alinéas (1) b) (i) et (ii) de l'article 15. Au-delà de 25 % d'écart, en plus ou en moins, il faut des « circonstances extraordinaires ».

La distance entre -25 % et 25 % est énorme. Une circonscription qui a une population de 25 % supérieure au quotient électoral a une population 67 % plus élevée que celle qui est à -25 %.

Et plus l'écart s'éloigne de 0 pour se rapprocher de 25 % ou de -25 %, plus il devient difficile à justifier et moins il « paraît souhaitable » vu l'importance primordiale du principe de l'égalité du pouvoir électoral entre les citoyens, et ce, même dans un contexte où l'objet du droit de vote garanti par la Charte n'est pas l'égalité du pouvoir électoral en soi mais le droit à une « représentation effective ».

D'où l'utilisation par la Commission, à l'instar des deux commissions qui l'ont précédée, d'un écart-cible de 10 % comme mesure concrète (in concreto) de sa tolérance à la dérogation, un écart-cible déterminé en fonction, d'une part, du principe de parité affirmé au paragraphe (1) de l'article 15 de la Loi et, d'autre part, de la possibilité de dérogation à ce principe prévue au paragraphe (2) du même article. L'utilisation d'un tel écart-cible est tout à fait légitime. En effet, les dérogations sont à la discrétion des commissions. Celles-ci « peuvent » déroger au principe de l'égalité du pouvoir électoral lorsque « cela leur paraît souhaitable ». D'où l'importance pour une commission d'« encadrer » l'exercice de sa discrétion, ne serait-ce que pour l'aider à faire preuve de constance dans l'exercice de celle-ci.

L'écart-cible de 10 % constitue en quelque sorte un outil de travail utile.

Enfin, certains sont enclins à croire que le mandat de la Commission consiste à s'assurer que la population de chaque circonscription ne s'écarte pas du quotient électoral de 25 %, en plus ou en moins. C'est une erreur. Le mandat des commissions commande de s'assurer que la population de chaque circonscription corresponde au quotient électoral « dans la mesure du possible » (art. 15 (1)), étant entendu qu'on peut déroger à cette exigence lorsque cela « paraît souhaitable », sans dépasser l'écart de 25 %, en plus ou en moins, sauf « circonstances [...] extraordinaires ».

Quatrièmement, l'ajout de références autochtones dans le nom de certaines circonscriptions électorales. La Commission a voulu que la carte électorale fédérale témoigne, pour la première fois, de la présence de toutes les communautés autochtones reconnues au Québec, soit les 10 Premières Nations et la Nation inuite.

Placée sous le signe de la réconciliation souhaitée par la Commission de vérité et réconciliation, l'initiative de la Commission a été approuvée par la majorité des intervenants et commentateurs, à quelques exceptions près.

D'aucuns ont soulevé la difficulté de prononcer ou de mémoriser quelques-uns des mots, noms et toponymes proposés, y voyant un obstacle à leur ajout au nom d'une circonscription. Selon la Commission, cette difficulté ne constitue pas un obstacle important. Les références sont là pour souligner la présence des Autochtones sur le territoire. Elles ont été proposées parce que la Commission croit que les Autochtones s'y reconnaîtront. Il est vrai qu'elles sont souvent bien différentes des mots, noms et toponymes auxquels la population non autochtone est habituée. Il aurait été étonnant qu'il en soit autrement. La difficulté de prononciation ou de mémorisation ne doit pas être exagérée et surtout, le jeu en vaut la chandelle.

La Commission estime toujours qu'une carte électorale qui fait une place à chacune des 11 nations autochtones reconnues au Québec constitue un message éloquent et puissant de rapprochement et de vivre-ensemble.

Quelques-uns ont aussi soutenu que le petit nombre d'Autochtones dans telle ou telle communauté ne justifiait pas l'ajout d'une référence dans le nom de la circonscription. La Commission rejette l'argument. L'objectif est que la carte électorale reflète la présence de toutes les nations autochtones reconnues au Québec. Le nombre de membres qu'elles comptent n'est donc pas, dans cette optique, un facteur décisif.

Notes de bas de page

1 Réseau du savoir électoral. Définition de « communauté d'intérêts ». https://aceproject.org/main/francais/bd/bdb05c.htm.

2 Renvoi : Circ. électorales provinciales (Sask.), [1991] 2 RCS 158