Redécoupage des circonscriptions fédérales de 2022

Partie IV – Analyse et décisions

L'ensemble du territoire du Canada est partagé en un certain nombre de circonscriptions électorales de façon à assurer une représentation adéquate de la population.

Ce partage du territoire en circonscriptions n'est pas figé dans le temps. Il évolue au fil des mouvements de population. La mise à jour de la carte électorale se traduit par une vaste opération de redécoupage du territoire, tous les dix ans, en fonction des données du dernier recensement décennal. D'où la mise sur pied, sur l'ensemble du territoire canadien, de commissions indépendantes du pouvoir politique dont la mission est de partager en circonscriptions électorales le territoire de la province pour laquelle chacune a été constituée, d'en établir les limites et enfin, de leur attribuer un nom.

Le recensement décennal de 2021 a établi la population de la province de Québec à 8 501 833 personnes.

La Commission a effectué son travail dans un contexte inédit, puisqu'une certaine incertitude a plané pendant plusieurs mois sur le nombre de circonscriptions qu'elle devrait délimiter.

Ce nombre est déterminé par le directeur général des élections conformément aux règles figurant aux articles 51 et 51A de la Loi constitutionnelle de 1867. Selon le calcul rendu public le 15 octobre 2021, le nombre de sièges du Québec passait de 78 à 77, alors que le nombre total de députés au Canada augmentait de 338 à 342.

La Commission a entamé ses travaux sur la base de 77 circonscriptions, soit le seul chiffre ayant alors valeur officielle. Elle s'est abstenue de participer au débat public entourant ce chiffre, convaincue que la question ne relève pas de son mandat. Ce débat a abouti, le 24 mars 2022, à la présentation du projet de loi C-14, Loi sur le maintien de la représentation des provinces à la Chambre des communes, qui avait pour effet de modifier la formule de répartition des sièges de façon à ce que le Québec conserve 78 sièges, sur un total canadien de 343. En conformité avec son attitude antérieure, la Commission a respectueusement décliné l'offre de comparaître devant le comité parlementaire qui procédait à l'étude détaillée du projet de loi. Celui-ci a reçu la sanction royale le 23 juin (LC 2022, c. 6) et le nouveau calcul qu'il ordonnait a été effectué par le directeur général des élections le 27 juin (Gazette du Canada, partie 1, 9 juillet 2022, p. 4221). Dans un communiqué, la Commission a noté que l'entrée en vigueur de cette loi mettait fin à l'incertitude entourant le nombre de circonscriptions électorales fédérales au Québec et lui permettait de finaliser sa proposition de révision de la carte électorale.

En divisant le chiffre de la population du Québec par 78, on obtient un quotient électoral, ou moyenne provinciale, de 108 998 personnes.

Au Québec, comme dans chaque province du pays, la révision de la carte électorale doit s'effectuer en fonction des principes énoncés à l'article 15 de la Loi :

  • 15. (1) Pour leur rapport, les commissions suivent les principes suivants :
    1. le partage de la province en circonscriptions électorales se fait de telle manière que le chiffre de la population de chacune des circonscriptions corresponde dans la mesure du possible au quotient résultant de la division du chiffre de la population de la province que donne le recensement par le nombre de sièges de député à pourvoir pour cette dernière d'après le calcul visé au paragraphe 14(1);
    2. sont à prendre en considération les éléments suivants dans la détermination de limites satisfaisantes pour les circonscriptions électorales :
      • i. la communauté d'intérêts ou la spécificité d'une circonscription électorale d'une province ou son évolution historique,
      • ii. le souci de faire en sorte que la superficie des circonscriptions dans les régions peu peuplées, rurales ou septentrionales de la province ne soit pas trop vaste.
  • (2) Les commissions peuvent déroger au principe énoncé par l'alinéa (1)a) chaque fois que cela leur paraît souhaitable pour l'application des sous-alinéas (1)b) (i) et (ii). Le cas échéant, elles doivent toutefois veiller à ce que, sauf dans les circonstances qu'elles considèrent comme extraordinaires, l'écart entre la population de la circonscription électorale et le quotient mentionné à l'alinéa (1)a) n'excède pas vingt-cinq pour cent.

En ce qui a trait au chiffre de la population de chacune des circonscriptions électorales, celui-ci doit correspondre « dans la mesure du possible » au quotient résultant de la division du chiffre de la population de la province par le nombre de sièges de député à pourvoir (« le quotient électoral »). Tel que mentionné précédemment, il est possible de déroger à ce principe de parité lorsque cela « paraît souhaitable », auquel cas la Commission doit toutefois veiller à ce que, sauf « circonstances [qu'elle considère] comme extraordinaires », l'écart entre la population de la circonscription et le quotient électoral n'excède pas 25 %, en plus ou en moins.

En ce qui a trait aux limites des circonscriptions électorales, il faut prendre en considération, outre le quotient électoral, la communauté d'intérêts ou la spécificité de la circonscription ou son évolution historique; et enfin, avoir le souci de faire en sorte que la superficie des circonscriptions dans les régions peu peuplées, rurales ou septentrionales « ne soit pas trop vaste ».

L'exercice du pouvoir de fixer les limites des circonscriptions électorales est assujetti à l'article 3 de la Charte qui garantit à tout citoyen canadien le droit de vote. À la question cruciale de savoir s'il est permis de s'écarter de la règle « une personne, une voix » dans le cadre du redécoupage des circonscriptions électorales, on sait maintenant qu'il ne s'agit pas tant d'atteindre l'égalité absolue des citoyens ou des électeurs que, de façon plus générale, d'en assurer une « représentation effective », c'est-à-dire ce droit pour tous les citoyens d'être représentés au Parlement et d'avoir accès à un député et à son aide.

La parité relative du pouvoir électoral constitue la « première » condition d'une représentation effective des électeurs. En effet, une dilution indue du vote d'un citoyen par rapport à celui d'un autre risque de résulter en une représentation inadéquate du premier. Son pouvoir législatif serait ainsi réduit, comme pourrait l'être également l'accès qu'il aura auprès de son député et à l'aide qu'il pourrait en obtenir.

Ceci étant, la parité du pouvoir électoral n'est pas le seul facteur à prendre en compte pour que différents intérêts, groupes et communautés puissent être équitablement représentés à la Chambre des communes. D'autres facteurs, dont ceux mentionnés dans l'article 15 de la Loi et les arrêts de la Cour suprême (les caractéristiques géographiques d'une circonscription, ses limites historiques, les intérêts d'une collectivité donnée ou son histoire, la représentation des groupes minoritaires) peuvent justifier la Commission de déroger à la règle de « une personne, une voix » dans l'intérêt d'une « meilleure représentation ».

Ces principes ont été au cœur de la réflexion de la Commission au moment d'élaborer sa Proposition et ils l'ont été de nouveau au moment de rédiger le présent rapport.

Il serait inéquitable, et contraire au principe démocratique, qu'un député représente beaucoup plus, ou beaucoup moins, de personnes que la moyenne provinciale. Dans un cas, il y aurait sous-représentation des citoyens, et dans l'autre, surreprésentation. Ces écarts en plus ou en moins par rapport au quotient électoral ne sont pas compatibles avec une démocratie saine. Il faut les réduire le plus possible.

Bien qu'elle ait tenu compte du concept de « représentation effective », la Commission n'a pas toujours donné suite aux nombreuses demandes de maintien intégral des limites physiques des circonscriptions (le statu quo). Mais la Commission n'a pas pour autant été insensible à ces demandes puisque, dans la mesure du possible, elle a évité de morceler les communautés d'intérêts à l'intérieur des arrondissements ou des villes, tout en faisant de même pour les arrondissements à l'intérieur des municipalités et pour les municipalités à l'intérieur des MRC et enfin, pour les MRC à l'intérieur d'une région administrative.

Bien que sensible aux arguments de ceux et celles qui lui demandaient de privilégier les facteurs autres que celui du quotient électoral, la Commission ne peut ignorer que, selon la volonté même du Parlement et les enseignements de la Cour suprême du Canada, la parité du pouvoir électoral demeure la première condition (la condition d'« importance primordiale ») d'une représentation effective de l'ensemble de la population.

La Commission a reçu quantité d'observations, commentaires et suggestions, à la suite de la publication de sa Proposition en juillet dernier. Elles ont toutes fait l'objet d'une attention minutieuse. Certaines ont été retenues, d'autres non, et ce, pour les motifs qui suivent.

Afin de faciliter la lecture du rapport, et à l'instar de ce qui a été fait dans la Proposition, les 17 régions administratives du Québec ont été regroupées en 10 ensembles territoriaux. Les circonscriptions électorales fédérales qui les composent sont identifiées, dans chaque cas, par ordre alphabétique en fonction de leurs noms actuels avec, entre parenthèses, le cas échéant, les noms suggérés dans la Proposition. Les commentaires et suggestions reçus sont résumés, avec le sort que la Commission leur a réservé, motifs à l'appui.

Finalement, en conclusion de ce chapitre, la Commission présente un tableau récapitulatif de toutes les circonscriptions qui changent de nom, 18 en tout, soit 6 de plus que dans la Proposition.